Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog de Philippe MARGA
12 juillet 2010

L'évaluation des compétences lors de stages

Cet article a été publié dans le supplément de la revue Soins Cadres n°74. Mai 2010

L’évaluation menée lors des stages, dans le cadre du nouveau référentiel de formation infirmière, prend à contre-pied certaines représentations qui animent l’imaginaire des professionnels de terrain ❚ Utiliser les outils et les supports de l’évaluation en stage, sans modifier sa manière de penser la compétence et la destination que l’on accorde à l’évaluation, conduit à des contradictions méthodologiques et risque de priver l’évaluation de stage de sa dimension la plus riche : sa dimension formatrice.

Skills assessment during practice placements. The assessment carried out during practice placements, in the context of the new nursing training reference framework,is sometimes at odds with the interpretation certain professionals in the fi eld have of skills assessment. Using the practice placement assessment tools and materials, without modifying the way of thinking about the concept of skill and the intended purpose of the assessment, leads to methodological contradictions and risks depriving the practice placement assessment of its most important dimension: its educational element.

La mise en place progressive de référentiels de formation structurés autour de la notion de compétence dans les différentes filières de formation des métiers de la santé confronte les professionnels qui y participent à la nécessité de développer des approches pédagogiques qui, si on ne peut les qualifier d’innovantes, leur sont au moins inhabituelles.

Ainsi, la mise en oeuvre du nouveau référentiel de formation infirmière et celle du dispositif d’évaluation de la construction des compétences des étudiants au cours des stages conduisent ces acteurs à voir remise en question leur représentation de l’évaluation – et des évaluations de stage en particulier – mais également leur représentation de la notion de compétence.

Cette notion fait pourtant l’objet de définitions désormais communément partagées : « Savoir agir en situation », « mise en oeuvre dans un contexte déterminé d’un ensemble de ressources diversifiées permettant un traitement réussi de situations ».

Mais la structuration d’un dispositif de formation et la mise en oeuvre d’une démarche pédagogique reposant sur une “entrée par les compétences” peuvent être interprétées selon diverses orientations conceptuelles et méthodologiques.

“COMPÉTENCE-CONTENANT” ET “COMPÉTENCE SITUÉE”

Nous évoquerons ici deux manières d’appréhender la notion de compétence du point de vue pédagogique

❚ Une de ces approches privilégie la fonction de structuration pédagogique de la compétence. Dans cette perspective, la compétence est considérée en tant que contenant qui permet d’organiser entre eux des savoirs en fonction de leur finalité. La compétence apparaît alors comme un savoir complexe, décontextualisé, décomposable en capacités, habiletés, connaissances.Dans ce cadre, la compétence permet d’organiser de manière hiérarchisée les contenus d’un programme d’études, tel un outil d’ingénierie pédagogique. On retrouve ici la démarche intellectuelle et méthodologique de la pédagogie par objectifs (PPO) et des approches behaviouristes de l’apprentissage.

Appréhender la compétence sous cet angle renvoie sans doute, dans l’imaginaire des formateurs et des professionnels chargés de l’encadrement des étudiants, à l’idée qu’elle constitue la finalité de l’apprentissage et non son objet. Il s’agit alors en quelque sorte de former les étudiants pour qu’ils puissent “à l’avenir” être compétents et non pas de les former à “être compétents”.

Bien évidemment, cette représentation posera un problème majeur lorsqu’il s’agira d’évaluer l’acquisition par l’étudiant de compétences au cours de son stage, puisque, dans cette perspective, l’acquisition de compétences n’est par définition possible qu’après la formation.

❚ Dans l’autre approche de la notion de compétence – dite “compétence située”–, c’est la logique situationnelle qui prévaut dans l’organisation de la formation et de l’évaluation. Cette option repose sur l’idée qu’une compétence s’exerce dans l’action en situation et par la réflexion sur l’action. La compétence se définit de ce fait comme une “intelligence des situations” et non comme un contenant de savoirs.

Cette approche de la notion de compétence relève d’une posture épistémologique socio-constructiviste.

INCIDENCES SUR L’ÉVALUATION AU COURS DES STAGES

L’évaluation réalisée au cours des stages sera bien évidemment déterminée par la représentation et l’usage que les professionnels feront de la notion de compétence. Que l’acquisition de compétences soit considérée comme l’objet ou comme la finalité de l’apprentissage, et toute la philosophie et la démarche d’évaluation en seront transformées.

D’un côté, évaluation-contrôle, centration sur des acquisitions (ressources de la compétence) hiérarchisées et programmées, tests de performances effectués dans le cadre de séquences expressément conçues pour l’évaluation. De l’autre, évaluation coopérative menée avec l’apprenant,au décours de ses apprentissages réalisés au sein de situations de travail telles qu’elles se présentent dans le terrain de stage.

On retrouve ici la confrontation des modèles d’évaluation de type behaviouriste et coopératif déjà présentée dans ces pages.

Ce conflit entre représentations, donc entre deux approches de l’évaluation, est sans doute pour une bonne part à l’origine de plusieurs difficultés rencontrées par les tuteurs et les membres des équipes de soins lors des évaluations des étudiants qu’ils encadrent.

ÉVALUATION DE LA CONSTRUCTION DE COMPÉTENCES LORS D’UN STAGE

Quatre repères essentiels permettent de clarifier l’évaluation des étudiants lors de leurs stages, dès lors que celle-ci s’inscrit clairement dans une approche de la compétence dite “compétence située”

❚ Le stage, en tant que séquence de formation, constitue une réponse structurée à la demande et aux besoins singuliers d’un étudiant, à un moment de son parcours d’apprentissage.Concrètement, cela signifie qu’un étudiant exprimant, à son arrivée en stage, le souhait de progresser dans telle ou telle compétence, se verra proposer de participer à la gestion de certaines situations professionnelles propres à ce terrain de stage. Ces situations constituant le contexte dans lequel les compétences se mettent en oeuvre seront tout autant les “supports” de l’apprentissage que de l’évaluation.

Cela revient à dire qu’évaluer là où en est un étudiant dans la construction d’une ou plusieurs compétences équivaut à évaluer sa gestion des situations de mise en oeuvre des compétences, ces  dernières étant propres à chaque terrain de stage.

❚ L’objet de l’évaluation lors des stages correspond à la définition même d’une compétence. Il va donc s’agir d’évaluer :

• la capacité de l’étudiant à “traiter avec compétence” les situations professionnelles considérées comme pertinentes, soit la pertinence de ses interventions et ses capacités adaptatives

• son intelligence situationnelle, soit ce qu’il comprend et explicite du contexte et de ses interventions

• sa capacité à “transférer” ses acquis dans différentes situations d’une même classe, soit sa capacité à reconstruire ou réinventer son intervention, et non à dupliquer un modèle de réponse préétabli.

Autrement dit, l’étudiant est évalué sur son “agir” dans des situations et activités significatives de l’une ou l’autre des dix compétences du référentiel, et non dans des activités spécialement mises en place pour procéder à l’évaluation. En revanche, il lui est demandé une explicitation pré et post-action, ainsi qu’une autoévaluation, qui ne sont pas d’ordinaire demandées à l’infirmier dans son exercice professionnel habituel.

❚ Cette évaluation est par nature coopérative. Elle est menée avec l’étudiant. Une large place est faite à l’explicitation qu’il peut réaliser de ses processus décisionnels et à l’autoévaluation de ses interventions.

❚ L’évaluation de compétences, jalonnant le parcours d’apprentissage de l’étudiant plutôt qu’elle ne le sanctionne, constitue finalement un feedback délivré à l’étudiant par l’ensemble des membres de l’équipe l’ayant accompagné, le tuteur étant positionné comme porte-parole de l’équipe.

ÉVALUATION DE LA CONSTRUCTION DE COMPÉTENCES DANS LE CADRE D’UN PROCESSUS DE FORMATION EN ALTERNANCE

L’évaluation de la construction des compétences de l’étudiant lors d’un stage ne constitue qu’une phase particulière de l’évaluation des compétences.

Un des mérites du livret faisant office de portfolio dans le nouveau référentiel de formation infirmière est de souligner l’aspect ponctuel et relatif de cette évaluation, en faisant apparaître non seulement la succession des évaluations de stage, mais aussi les travaux d’analyse de pratiques réalisés par les étudiants.

Au final, l’évaluation va associer et synthétiser trois facettes de la construction des compétences :

• l’évaluation des compétences lors d’un stage, telle qu’abordée précédemment (une compétence s’exerce dans l’action en situation) ;

• l’évaluation de l’habileté de l’étudiant à transférer des apprentissages d’un contexte de stage à un autre (quel serait l’intérêt du portfolio s’il ne permettait pas de prendre en compte cette habileté ?) ;

• les capacités réflexives de l’étudiant (une compétence s’exerce dans la réflexion sur l’action). Cette synthèse, réalisée dans le cadre d’un entretien réunissant l’étudiant et son formateur référent, permettra d’effectuer un “point de situation” quant au stade d’avancement de la construction de ses compétences et de préparer la suite de son parcours d’apprentissage..

CONCLUSION

La mise en place d’un dispositif pertinent d’évaluation de compétences lors des stages cliniques pose un double défi aux acteurs qui y participent :

• un changement de paradigme quant aux concepts mêmes de compétence et d’évaluation ;

• la mise en place d’un dispositif “en réseau” associant apprenant, professionnels et formateurs.

Publicité
Publicité
Commentaires
Le blog de Philippe MARGA
Publicité
Le blog de Philippe MARGA
Publicité