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Le blog de Philippe MARGA
21 mars 2011

Compétences et évaluation

Cet article a été publié dans le supplément n°68 de la revue Soins Cadres. Décembre 2008.

 

 

La mise en place de nouveaux programmes de formation s’inscrivant dans une « logique compétences » va conduire les équipes pédagogiques et les équipes de professionnels accueillant les étudiants lors des stages à mettre en question leurs pratiques et leurs outils d’évaluation actuels.

Aujourd’hui encore essentiellement inscrites dans un modèle de type comportementaliste, privilégiant le contrôle de la performance, ces pratiques d’évaluation vont devoir vivre une véritable mutation, davantage culturelle que méthodologique.

 

La structuration progressive des programmes de formation aux métiers de la Santé autour d’une « logique compétences » interroge les praticiens de l’évaluation, qu’ils soient formateurs en Institut ou professionnels de Santé chargés de l’encadrement des étudiants lors de leurs stages.

Cette interrogation concerne l’objet de l’évaluation, la place de l’évalué dans l’évaluation, et la nature des procédés mis en œuvre pour évaluer, dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler  la « logique compétences ».

Cette question est d’importance, puisque qu’on remarque que les dispositifs d’évaluation influencent fortement la dynamique de formation des apprenants.

 

Il semblerait en effet que leurs efforts et les choix qu’ils effectuent dans leurs investissements, ou même l’importance qu’ils accordent à tel ou tel élément constitutif de leur formation, sont clairement influencés par la nature et la forme du système d’évaluation.

 

Il serait donc vain de vouloir introduire de nouvelles approches pédagogiques (apprentissage par situations, importance de la conceptualisation et du transfert des apprentissages) en maintenant des pratiques d’évaluation devenues obsolètes : il y aurait là le risque que l’évaluation vienne contredire les intentions pédagogiques énoncées dans le « projet compétences »

 

Une conception behavioriste de l’évaluation

 

Les pratiques actuelles de la majorité des acteurs chargés d’évaluation dans les filières des métiers de la Santé se situent à la conjonction de trois postulats.

 

Le premier de ces postulats, directement issu des approches behavioristes, définit le comportement comme seul objet de l’évaluation.

 

En lien direct avec la taxonomie de Bloom, qui influence fortement la culture pédagogique de ce milieu professionnel, cette centration sur le comportement conduit à assimiler l’évaluation à un système de mesure de la performance de l’évalué, fondé sur des indicateurs comportementaux.

 

Le second postulat renvoie à une distinction radicale entre évaluation normative et évaluation formative, telle que Scriven l’a proposée en 1967. Cette distinction amène à considérer que ces deux versants de l’évaluation, bien que complémentaires, sont incompatibles lors d’une même évaluation. L’évaluation normative consiste alors en l’énoncé d’une valeur attribuée à une réalisation prédéfinie. Cette valeur est énoncée par l’évaluateur ou le jury. L’analyse des caractéristiques singulières de cette réalisation relève d’un autre temps, dit d’évaluation formative, clairement distinct du premier.

 

Le dernier de ces trois postulats affirme la nécessité de distinguer le temps de formation et d’apprentissage, du temps d’évaluation de l’apprentissage. On retrouve là l’idée « d’évaluer les acquis », à travers la réalisation par l’évalué d’une activité spécifique, définie par le formateur, en fonction de ses « objectifs pédagogiques ». De ce point de vue, il apparaît naturel de procéder à cette évaluation des acquis à l’issue des séquences de formation à proprement parler.

 

Malgré de nombreuses initiatives visant à impulser d’autres approches de l’évaluation, on relève donc une référence majoritaire des acteurs à une approche privilégiant la mesure de la performance de l’évalué, et à une conception de l’évaluation que l’on pourrait qualifier de « verdictive ».

Le vocabulaire utilisé paraît particulièrement signifiant : les termes « jury », « épreuve d’évaluation », « délibérations », « restitution à l’évalué », « sanction » viennent jalonner le discours des acteurs de l’évaluation. Celle ci apparaît alors clairement dans sa finalité : renforcer positivement ou négativement le comportement de l’évalué, dans une démarche manifestement comportementaliste.

 

Un modèle coopératif de l’évaluation

Des différentes approches de la notion de compétence qui ont été développées depuis une quinzaine d’années (Le Boterf, Vergniaud, Perrenoud), on peut retenir deux éléments essentiels :

 

1.  la notion de compétence, en particulier lorsqu’elle s’applique au champ professionnel, implique que le sujet la mettant en œuvre dispose d’une part plus ou moins importante d’autonomie décisionnelle.

Est considéré comme compétent celui qui définit sa conduite de manière pertinente dans des situations professionnelles considérées comme significatives. Etre compétent implique donc de savoir rendre compte de ses processus de prises de décisions.

 

2. la compétence se définit en tant que combinatoire individuelle de ressources de nature différente (représentations, savoirs, savoir-faire…).

En rendre compte implique de considérer l’ensemble de ses composantes et de ses interactions. Ainsi par exemple, les articulations et interactions entre savoirs et savoir-faire auront peut être davantage d’importance dans la construction et la mise en œuvre de la compétence, que la seule acquisition de ces mêmes savoirs et savoir-faire.

Dans cette perspective, évaluer ne consiste plus à mesurer la performance de l’apprenant à partir d’indicateurs comportementaux, mais à établir avec le sujet évalué l’état de ses connaissances et de ses compétences.

Ni normative, ni formative, l’évaluation devient alors essentiellement formatrice.

Cette approche requiert la participation de l’apprenant à son évaluation. Qui mieux que lui peut commenter, étayer, expliquer sa manière d’appréhender une situation ou de résoudre un problème ?

Cette phase indispensable d’explicitation par l’apprenant confère alors à l’évaluation une dimension coopérative, qui établit un lien entre l’évalué et l’évaluateur fondamentalement différent de celui qui caractérise l’approche comportementaliste.

Dans ce processus, l’auto évaluation prend toute sa place : en même temps que le sujet apprend des situations d’évaluation, il intègre et s’approprie le référent d’évaluation. Loin de « se soumettre à une épreuve de contrôle », il apprend à évaluer.

 

Enfin, inscrire l’évaluation dans la « logique compétences » conduit à remettre en question la distinction faite habituellement entre le temps d’apprentissage et le temps d’évaluation de l’apprentissage.

En effet, dans une logique de développement des compétences, les méthodes pédagogiques mises en œuvre sont fortement chronophages : approches inductives par l’analyse de pratiques, l’apprentissage par situations problèmes, la pédagogie de projets.

Le temps pédagogique étant lui-même limité, il devient quasi impossible d’ajouter au temps de formation un temps spécifique consacré à l’évaluation. Comment par exemple, ajouter à la réalisation d’un projet dont la finalité est formatrice (apprendre en faisant), la réalisation d’un second dont la finalité serait cette fois ci évaluatrice ? (faire pour démontrer que l’on sait). S’il était classique dans une pédagogie magistrale de « faire le cours », puis d’organiser une séquence de « contrôle des connaissances », l’approche par compétences repositionne l’évaluation dans une fonction de jalonnement et d’accompagnement du parcours d’apprentissage.

 

Points essentiels

 

Approche behavioriste de l’évaluation

 

Modèle coopératif d’évaluation des compétences

  • L’évaluation constitue un moyen de contrôler l’atteinte des objectifs d’apprentissage par l’apprenant
  • L’évaluation consiste à établir avec l’apprenant l’état de ses connaissances et de ses compétences
  • L’évaluation contrôle le degré d’acquisition
  • L’évaluation prépare les apprentissages ultérieurs
  • Evaluation normative et évaluation formative sont distinctes
  • L’évaluation est formatrice
  • L’observation du comportement de l’évalué permet de mesurer le degré d’atteinte du niveau de performance
  • L’explicitation par l’apprenant de ses processus décisionnels et opérationnels constitue le cœur de l’évaluation 
  • Les temps d’apprentissage et d’évaluation sont différenciés 
  • L’évaluation accompagne l’apprentissage 

 

L’approche coopérative de l’évaluation des compétences éclaire d’un jour nouveau la question de la posture du formateur dans l’évaluation.

Dans le modèle traditionnel de l’évaluation contrôle, et dans l’approche behavioriste, la posture du formateur est référée à une représentation très particulière de la fonction de l’évaluation.

Cette représentation correspond à ce que l’on a parfois nommé « le modèle de la dette » : les enseignements étant « donnés » par les enseignants, ils sont « dus » (en quelque sorte « remboursables »).

Evaluer consiste alors à contrôler la qualité de la restitution ( le « remboursement ») par l’apprenant des savoirs et savoir-faire qui lui ont été enseignés.

Dans cette option, la posture de l’évaluateur consiste en une posture de contrôle, de vérification, de mesure de la conformité / non-conformité.

Elle suppose l’existence de ce que Lacan a nommé le « sujet supposé savoir » : au-dessus des procédures, des épreuves et des outils d’évaluation, le « sujet supposé savoir », c’est à dire l’évaluateur, dit et indique le vrai et le faux.

La reconnaissance de la validité de ce jugement repose sur la confiance que l’évalué a dans le système, ce qui revient à dire que cette confiance repose sur un transfert positif de l’évalué envers l’évaluateur.

Une différence d’appréciation peut de ce fait être appréhendée en tant que contestation de la parole du « sujet supposé savoir », dont la nature est alors quasi subversive.

On comprend ici pourquoi l’introduction de l’auto évaluation dans l’évaluation comportementale des performances génère immanquablement incompréhension, réticence, résistance.

 

Dans une approche coopérative de l’évaluation des compétences, la posture du formateur est toute autre.

Elle s’inscrit dans un type de relation certes complémentaire, mais qui inclut la réciprocité : l’évalué livre son explicitation et son analyse, et, en ce sens, nourrit la réflexion de l’évaluateur, qui, à son tour, livre un feedback à l’évalué.

Evaluateur et évalué coopèrent dans une démarche de compréhension réciproque et partagée (pour l’un, comprendre et apprendre comment l’apprenant prend ses décisions en situation, pour l’autre comprendre et apprendre de la situation).

Ce changement concerne alors non seulement la posture de l’évaluateur, mais aussi celle de l’évalué : écoute, échange, partage, réciprocité

 

Quelques exemples d’évaluation coopérative des compétences

 

 

  • Analyse interactive du processus de prise de décision en situation professionnelle propre à l’apprenant 
  • Bilans réguliers et interactifs au cours de l’apprentissage d’une méthodologie à usage professionnel  
  • Bilans en équipe d’apprenants et de formateurs d’une session d’analyse de pratiques  
  • Suivi et bilan partagé de l’élaboration et la conduite par l’apprenant (ou le groupe d’apprenants) d’un projet ou mini projet professionnellement significatif
  • Lors d’un stage, identification par l’apprenant d’une activité significative de la mise en œuvre d’une compétence particulière, gestion de l’activité et de la situation, argumentation, auto évaluation, feedback du formateur

 

L’émergence progressive de ce modèle coopératif d’évaluation, qui apparaît pour l’instant de manière éparse dans les pratiques de formation développées dans les filières de formation aux métiers de la Santé, indique davantage une voie à suivre qu’elle ne propose une démarche et une méthodologie d’évaluation « clefs en mains ».

Elle conduit cependant à modifier certaines représentations, profondément inscrites dans la culture et dans l’imaginaire des évaluateurs.

En ce sens, l’introduction de la « logique compétences » dans les dispositifs de formation aux métiers de la Santé pourrait induire un changement de culture pédagogique, changement bien plus profond que celui lié aux seules modifications d’ordre méthodologique inhérentes à la mise en place d’un nouveau programme d’études.

 

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